Dans la cendre du ciel

Extraits

 

Première partie

Séquence 1

La cuisine d’un appartement H.L.M., l’homme et la femme qui se séparent, la femme qui tient l’enfant dans ses bras.

C’est encore la nuit. Dans la pièce restée en désordre, la fenêtre est ouverte malgré la fraîcheur de la saison. L’homme et la femme qui se séparent sont debout, assez proches l’un de l’autre, la femme tient l’enfant dans ses bras. Ils ne se parlent pas, ils n’ont pas dormi de la nuit.
C’est une scène de rupture, sans violence ni éclat. Cela a sans doute été vécu avant, mais ce moment-là est un moment de calme, de suspens avant que la réalité ne reprenne son cours.

Ils ont parlé toute la nuit, fait le partage de leurs sentiments, et constaté démunis qu’ils ne pourraient plus s’accorder l’un à l’autre. Etrangers à eux-mêmes et à leur propre vie, ils sont maintenant en proie à l’errance du temps qui cherche à se défaire d’eux. Ils ne cherchent plus à se retenir, juste à traverser ce qui les dépasse, pour trouver un endroit où se reposer, même s’ils n’y sont plus ensemble. A ce moment-là, la parole n’est plus le lieu de l’être.

Le jour vient peu à peu. L’enfant pleure parce qu’il a faim. L’homme et la femme restent quelques instants encore dans l’écho de ce qui les retient l’un à l’autre, puis l’un des deux dit simplement : « Il faut que j’aille travailler. »

L’homme prend ses affaires et sort. La femme attend un peu, puis ferme la fenêtre. Elle prend elle aussi ses affaires et sort à son tour, avec toujours l’enfant dans ses bras.

La pièce reste vide. La rupture est maintenant effective. Dans le monde qui vient, ils sont désormais l’homme et la femme séparés.

Séquence 2

La cour de l’usine avant l’embauche, il fait à peine jour, on ne distingue encore que des ombres.

Des ouvriers, des hommes et des femmes attendent l’ouverture de l’usine. Certains arrivent, d’autres sont déjà là. Ils échangent des regards, des poignées de mains, des femmes s’embrassent.

Sans affectation particulière, et comme pliés à un * destin qu’ils ne pensent même plus pouvoir devenir autre, ils sont dans l’accomplissement d’un temps où le corps et la pensée sont à l’abandon, un peu comme s’ils avaient été oubliés là.

Certains assis, d’autres debout contre les murs. Ils fument des cigarettes, plaisantent, échangent des mots qu’on ne comprend pas.

A l’intérieur de l’usine, on entend les moteurs de ventilation des frigos, des bruits de rails, des grincements. De l’autre côté de l’usine, on entend les bêtes qui attendent dans les camions.
L’ensemble est étrange, presque irréel, on sent de la tristesse et du désarroi, mais aussi une étonnante légèreté, des nuances de rose dans le ciel, quelques oiseaux…

Le jour finit par prendre sa place, les ombres disparaissent. On commence à distinguer des visages, l’usine autour, la campagne toute proche.Au bout de quelques instants une porte s’ouvre et laisse entrer les ouvriers dans l’usine. Ils s’y engouffrent tous.

(…)

Troisième Partie

Séquence 1

Le Gardien
Tout le monde est là-bas. Prenez votre temps. Ils vont y rester encore.

(Temps)

La Femme de l’homme qui va partir
Pourquoi m’avez-vous amenée ici ?

Le Gardien
Vous pouvez partir si vous voulez.

(Temps)

La Femme de l’homme qui va partir
Quand même… Cette odeur, celle de mon mari… si forte…

Le Gardien
Il faut que vous mangiez.

La Femme de l’homme qui va partir

Le Gardien
Tenez.

La Femme de l’homme qui va partir
Qu’est-ce que c’est ?

Le Gardien
Du boudin.

La Femme de l’homme qui va partir
Oh, moi aussi je devais préparer du boudin !

Le Gardien
Asseyez-vous si vous voulez. Vous avez le temps de manger. *Moi il va falloir que je retourne tout à l’heure, pour ma ronde. Vous pouvez parler avec moi en attendant.

La Femme de l’homme qui va partir
Oui.
(Elle se lève et vient s’asseoir à la table)

(…)

Thierry Beucher

2007